Dossiers Cyna > Androgynes japonais

Vous savez tous que les shôjo mangas sont très axés vers les éternelles histoires d'amour. Normal, ce sont des bandes dessinées destinées aux filles, qui sont souvent plus romantiques et sensibles que les garçons (pas tous les garçons). L'amour est donc vu par les mangaka sous toutes les coutures possibles.

Ainsi, les situations "banales", qu'on rencontre autant dans les mangas pour filles que dans ceux pour garçons, comme le couple de jeunes gens timides qui n'osent pas s'avouer leur amour mutuel et font durer la série pendant un nombre interminable de volumes, le triangle amoureux (dont l'un des membres finit immanquablement par être exclus, ou par sortir de son plein grésmiley, ou encore ceux qui s'aiment et vivent ensemble mais ne veulent pas se le dire car l'un fait un métier dangereux et l'autre est son assistante plus que dévouée. Non, non, je ne pensais pas particulièrement à Maison Ikkoku, Orange road et City hunter... Ah, peut-être que si, finalement.

Tout cela est bien beau, mais le peuple demande de l'originalité, de la diversité. Le shôjo manga étant l'un des domaines artistiques les plus ouverts qui soient, il était donc normal qu'on voit un jour apparaître un nouveau genre d'histoire d'amour, preuve de la symbiose parfaite entre la réalité omni-présente dans les mangas et la fantaisie dont a besoin chacun de nous. Stop, accès réservé à ces demoiselles ! L'Androgyne fait son entrée dans le manga, pour faire chavirer le coeur de ses ami(e)s, et aussi celui des lectrices.

L'Androgyne... Kezako ? Littéralement "homme-femme", c'est, dans la littérature en particulier, une personne dont on a du mal à définir le sexe. Soit parce qu'il s'agit d'un homme qui se met du rouge à lèvres, a un peu de poitrine et une passion pour les roses, soit parce que c'est une femme aux gestes et paroles brusques, grande, plate et sportive.

Les deux cas se trouvent depuis toujours dans l'animation japonaise, car les Nippons aiment jouer sur l'ambiguïté des sexes. Dans Saint Seiya, c'est sans doute pour éviter de rendre trop machiste la série que Masami Kurumada a inséré le personnage de Shun parmi ses cinq héros. Il a, comme Shin dans les Samurai Troopers ou Reiga dans Shurato, plus d'hormones femelles que la moyenne. En effet, le jeune garçon (treize ans) est doté d'une sensibilité extraordinaire, sa voix a à peine mué (notamment en version originale), il pleurniche sans cesse et ne peut s'empêcher de réclamer l'aide de son grand frère, personnalisation du mâle même...

Mais il possède également une grande force, qu'il peut utiliser lorsqu'il arrive à se maîtriser. Il devient ainsi l'un des chevaliers de bronze les plus puissants. Ikki l'a compris et cherche à le faire changer. Ainsi, dans le dernier film, Saishûseisen no senshitachi (Lucifer ou les guerriers de la dernière croisade), il intervient pour l'aider et tue son adversaire, mais cette fois-ci il ne l'aide pas à se relever, et se contente de lui dire, sans se retourner: "si tu veux vraiment sauver Athéna, tu dois utiliser la force qui est en toi. Tu penses que la bataille est finie parce que ton ennemi est vaincu ? Non, le combat contre Lucifer ne fait que commencer !"... Et il se met à courir, laissant son frère désemparé derrière lui. Shun a bien réussi à vaincre Aphrodite et Syd... Il suffit qu'il ait confiance en lui. Etant donné qu'il est l'élément presque féminin du groupe, cette leçon est donc valable pour les deux sexes. Les filles l'ont entendue, et c'est sans doute ce qui a fait de Shun le chevalier préféré de ces dames...

Des hommes efféminés, on en connait beaucoup dans les oeuvres pour garçons. Il y en a d'autres dans Saint Seiya (Misty et Aphrodite bien sûr !), mais aussi dans High school ! Kimengumi (Le collège fou fou fou), Dragon Ball Z (sic ! souvenez-vous de Zarbon, le partenaire de Freezer, d'ailleurs doublé au Japon par Shô Hayami alias Kôji Nanjô de Zetsuai...), Fûma no Kojirô, Hokuto no Ken (quoiqu'ici il soit facile de différencier les hommes des femmes: il n'y a aucune ambiguïté sur la taille des poitrines et des muscles), et des dizaines voire des centaines d'autres. Mais chez les femmes, l'Androgyne est encore plus présent. Parfois, son ambiguïté sexuelle est même l'un des principaux intérêts de l'histoire.

Moto Hagio, une célébrité du shôjo manga qui donne beaucoup dans les débordements homosexuels, est à l'origine, il faut le signaler, d'un très beau dessin animé de science-fiction de 90 minutes sorti en 1986 et nommé Jû-ichi nin iru ("nous sommes onze"), dont je vais vous parler un peu car elle aborde le problème des androgynes. L'histoire se situe dans le futur. Dix jeunes gens d'origine et de milieu différents cherchent à passer un examen pour être admis à l'Académie de l'espace. Après une dure sélection, on leur propose une dernière épreuve: survivre 53 jours dans un vaisseau spatial abandonné. Evidemment, cette mission ne sera pas de tout repos, l'équipe étant confrontée à un mystérieux virus qu'ils essaieront d'empêcher de se propager, et à la présence d'un intrus, un onzième passager, qui sèmera la panique en son sein, puisque tous ont des motivations réelles. On imagine donc la tension qui règne entre les personnages.

Pourtant, le vaisseau sera le cadre de la naissance d'un Amour entre le héros, Tada, et un androgyne, Froll, qui a un passé très intéressant: sur sa planète, les êtres n'ont pas d'attributs sexuels à leur naissance. A leur majorité, on leur injecte soit des hormones mâles, soit des hormones femelles, ce qui entraîne des modifications physiques et détermine par la suite leur sexe. Mais là-bas, les femmes sont considérées comme des moins que rien, et elles sont condamnées à devenir l'énième épouse d'un (heureux) homme. Pour avoir le privilège d'appartenir au sexe masculin (c'est pas moi qui l'ai dit, uhuh !), il faut soit être le premier-né d'une famille, soit prouver ses grandes capacités. C'est pour cela que Froll veut entrer à l'Académie de l'espace, ce qui serait une preuve suffisante pour qu'on lui accorde ce dont elle rêve.

Tada, étant amoureux d'elle (je dis "elle" pour ne pas choquer, hein), est partagé entre le désir de faire son bonheur (ce qui implique la réussite de l'épreuve) et son envie de l'épouser. L'idée est vraiment extraordinaire. Rassurez-vous, le film se termine fort bien (voire un peu trop bien pour que ça soit crédible, selon moi). Il y a un autre androgyne dans l'équipage, Knume, mais il est plus légitime de dire que les habitants de sa planète sont des hommes pouvant se reproduire sans l'aide de femmes...

Pour en revenir au long-métrage, il a été dessiné par... Akio Sugino, character-designer de la célèbre série Oniisama e dont je vous parlerai par la suite, et de Cobra entre autres. A noter qu'il existe dans une excellente version française, mais elle reste dans les cartons d'AB Productions qui estime qu'elle a peu de chances de se vendre. Enfin, le manga originel, en un volume, a été publié aux USA en petits fascicules. L'adaptation est très sympathique, et conserve bien l'ambiance. Mais je vous recommande surtout le film.
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Une autre célébrité du shôjo manga qui a utilisé à outrance le principe de l'ambiguïté des sexes est Riyoko Ikeda, créatrice de Versailles no bara (1972)... Inutile de préciser qu'Oscar est à la fois homme et femme ! Ce personnage fabuleux est largement inspiré d'une autre femme travestie en homme pour les besoins de la Couronne: Saphir, dans Ribon no kishi (ou Prince Saphir) d'Osamu Tezuka (1953), le tout premier manga pour filles... Comme par hasard. Alors, la présence des Androgynes dans les mangas pour filles remonterait donc à leur naissance même !

Toujours de la part de Riyoko Ikeda, on trouve facilement un autre exemple. Pour ceux qui n'ont pas lu Namida 2 (bientôt sur ce site) ou qui ne l'ont pas fait depuis longtemps, je vais vous éclaircir la mémoire. Oniisama é... ou Très cher frère, manga publié en 1974 et adapté en animation en 1991, se déroule dans un lycée pour jeunes filles assez strict, où règne une autorité officieuse, le Sorority Club dirigé par Fukiko Ichinomiya, également appelée Mlle Miya. Ce cercle d'élèves prestigieux n'accepte comme membres que des lycéennes aux moeurs parfaites, aux résultats scolaires excellents, enfin vous voyez le topo. D'où jalousie entre les élèves et ce qui s'ensuit, et bien sûr l'impression de l'héroïne, Nanako, de revenir au Moyen-Âge en entrant dans cet établissement. Elle perd même dans l'affaire son amie de toujours, Tomoko (et encore plus dans le manga, où cette amitié ne retrouvera plus jamais sa force d'autrefois !), ce qui est la preuve qu'elle a changé de vie.

Pour ne pas perdre pied, elle s'accroche à des éléments de l'Extérieur, comme son ami et ancien professeur Takehiko Henmi (qu'elle appelle son "très cher frère" sans savoir qu'il est en réalité son demi-frère), ou encore Saint-Just (alias Rei) et Kaoru, deux élèves plus âgées qui se sont rebellées contre l'ordre établi par le Sorority et finiront par réussir à le faire dissoudre. Ces deux jeunes femmes ont justement (et c'est justement ce qui nous intéresse présentement, on y arrive) la particularité d'être androgynes et d'attirer étrangement toutes les filles du lycée, en particulier Saint-Just qui les charme du son de sa guitare (ou de son piano, dans le dessin animé !). Au passage, je vous ferai remarquer que la fin de l'oeuvre renvoie les personnages dans l'univers extérieur: Kaoru, la sportive qui rappelle un peu André Grandier (l'ami d'enfance de Lady Oscar), épouse Takehiko et s'en va en Allemagne. Dans le manga, elle mourra au bout d'un an des suites d'une maladie (j'adore la façon dont c'est racontésmiley, mais dans l'anime elle guérira et donnera naissance à un beau bébé, Comme quoi elle est bien une femme... Oui, la série trahit le manga mais quelle joie de voir Kaoru enfin heureuse... Surtout que ce dernier épisode est fort réussi !

Pour en revenir au thème principal d'Oniisama e, il est facile de comprendre que la ségrégation des sexes (et/ou le caractère androgyne de certains personnages) finit souvent par "provoquer" l'homosexualité, l'attirance d'une personne pour une autre du même sexe. Ce sentiment qui est sous-jascent dans le superbe Oniisama e est par contre admis "officiellement" dans une autre oeuvre majeure des années 70, Kaze to ki no uta (1976), de Keiko Takemiya. Celle-ci s'est intéressée à tous les genres, avec la science-fiction (l'excellent Terra e, 1977, ne ratez pas le film en version sous-titrée anglais), les amours hétérosexuelles croisées ou autres (Natsu e no tobira), l'humour (Fly me to the moon !) et pas mal de mangas mélangeant plusieurs genres (Izaron densetsu...), il n'est donc pas étonnant qu'elle ait été l'une des premières (la première ?) à introduire l'homosexualité dans ses oeuvres et à la présenter comme un fait banal, presque courant.

Nous voici donc en 1880, dans un pensionnat pour garçons situé près d'Arles, dans le sud de la France, pays qui fascine les Japonais (et pas seulement eux), de par sa différence avec le leur. L'histoire est centrée autour de Serge Bailleul, nouveau venu qui partage sa chambre avec la star du collège, le jeune, beau, séduisant et surtout androgyne Gilbert Cocteau. Celui-ci est vu comme une femme par les autres élèves, qui ne rêvent que de partager une nuit avec lui. Un surveillant abuse de lui, provoquant ainsi la colère de Serge et la compassion de ce dernier pour lui. Cette relation va bien entendu se transformer en une véritable histoire d'amour. Et se terminer par un drame, la mort de Gilbert... Tout ceci n'est pas sans rappeler le roman "Les amitiés particulières", non ? (Comment ça, vous ne connaissez pas ? Mais moi non plus !)

L'animation s'intéressa à cette aventure. En 1987, Shôgakukan, Herald (la société productrice de l'excellent Ran, film d'Akira Kurosawa) et Konami (!) adaptent le manga en un OAV d'une heure reprenant les premiers volumes de l'histoire. Le staff ne sort pas de n'importe où, jugez plutôt: un storyboard du célèbre Yoshikazu Yasuhiko (Gundam, Venus wars, Arion, Crusher Joe), un character-design de Sachiko Kamimura (City hunter, Arslân legend, et encore Venus wars et Arion), et des dessins signés entre autres de Ken-ichi Ônuki (Earthian, Yôtôden), Tsukasa Dokité (Dirty pair, Captain Tylor, Patlabor 2), Hideyuki Motohashi (éminent membre des productions Araki, qui adapte souvent les oeuvres de Gô Nagai et de Mitsuteru Yokoyama), Toshihiro Kawamoto (character-designer de Gundam 0083 et Orguss 02), Kôichi Chigira (réalisateur de l'OAV de Tôkyô Babylon et d'un clip de Bronze, et assistant-réalisateur sur Venus wars) et même Keiko Takemiya elle-même, qui a fait quelques peintures à la fin de la vidéo.

Côté doublage, un choix également fabuleux: on peut entendre entre autres Kaneto Shiozawa (Mû dans Saint Seiya, Larva dans Miyu, Narcasse dans Arslân), Hiroshi Takemura (Tôma dans les Troopers, Joe dans Crusher Joe) dans le rôle de Pascal Biquet, ami de Serge et de Gilbert, Yoshiko Sakakibara (Kushana dans Nausicaä et de nombreux autres rôles), Jûrôta Kosugi (Rajura dans les Troopers) et même Shô Hayami (Kôji dans Zetsuai) dans le rôle du surveillant un peu trop zêlé (il faut le voir pour comprendre)........ Le résultat est magnifique, les voix sont superbes, les couleurs sont toutes très réussies, elles donnent une ambiance particulière au dessin animé, les décors (dessinés dans le style des tableaux "panoramiques" européens) la renforçant. Oui, c'est vrai, l'esthétique est à pleurer, mais bon, l'histoire est un peu trop axée sur le sexe... Enfin, pas plus que le manga, mais ce n'est pas à son honneur.
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Le temps passant, l'homosexualité devient plus discrète dans le shôjo manga : de plus en plus présente dans l'ensemble des oeuvres, mais moins "remarquable" à l'intérieur de celles-ci... Les années 90 ont vu la consécration de deux auteurs féminins de manga: Yun Kôga et le groupe Clamp. La première est surtout connue pour ses deux publications (qui ne sont pourtant pas les seules) chez Shinshokan (éditeur des revues South et Wings), Genji et Earthian. Genji (magnifique manga au passage !) se déroule dans deux dimensions parallèles du Japon: la nôtre, de nos jours, et un monde fantaisiste où les Taira et les Minamoto (deux clans ennemis du moyen-âge) se battent en armures mais... dans des tanks ou avec des lance-flammes. Le héros est un garçon de dix-huit ans, Katsumi (oui, je sais, un prénom de femme en général !), qui court après l'ombre de sa petite amie Sakura et ira la rechercher jusque dans cette étrange dimension, mais nourrit également une relation "spéciale" avec Yoshitsune Minamoto, petit frère de Genji (l'alter-ego de Katsumi dans cet autre monde), et avec Kiyomori, un Taira qui lui voue un véritable culte. Il y a beaucoup trop de choses à dire sur cette série, je ne me risquerai donc pas à vous en donner un résumé hasardeux. On pourra en tout cas remarquer que le héros, de par son assez jeune âge, est intrigué par cet entourage qui lui veut tant de "bien", et se laisse faire par... curiosité.

Il existe un OAV en deux épisodes de 45 minutes, dessiné par Michitaka Kikuchi de Silent Möbius et reprenant les cinq premiers mangas. Un passage marquant du premier épisode nous montre Yoshitsune voler un baiser à Katsumi, comme s'il avait enfin la possibilité de témoigner à cette "réincarnation" de son grand frère toute l'affection qu'il n'avait pu lui donner. Katsumi accepte, avec réticence toutefois, ce baiser qui, comme il lui dit, lui fait comprendre "mieux que n'importe quelle déclaration" à quel point Yoshitsune aimait Genji. Mais il reste hétéro, puisqu'il continue à chercher son Amour éternel. Je trouve que Yun Kôga a utilisé d'une très belle façon cet "effet de mode" du shôjo manga... Notez que dans l'anime, Katsumi est doublé par Nozomu Sasaki, spécialiste des hommes effeminés. Il a par exemple donné sa voix à Shin des YST, ou à Chihaya, héros pas très macho d'Earthian. Quant à Clamp, leur Rg Veda (voir Namida 3) nous présente l'Androgyne-type, Ashura, qui n'est vraiment ni homme ni femme et est donc classé(e) dans la catégorie des personnages féminins par Animage et des personnages masculins par Anime V !!!

On peut dire la même chose de Nataku (dans X, toujours de Clamp), un être artificiel dépourvu d'identité sexuelle, d'apparence pourtant masculine mais qui renferme l'âme d'une jeune fille...

Ce ne sont que deux exemples de mangas pour montrer que l'homosexualité est la plupart du temps passée au second plan (remarquez, ça vaut peut-être mieux), toutefois il arrive qu'elle soit encore un élément déterminant du scénario. Reprenons donc l'exemple de Clamp, avec un autre de leurs succès, que je commence à connaître par coeur: Tôkyô Babylon. L'histoire se déroule de nos jours dans un Tôkyô monstrueux, étouffé par la masse de ses habitants et son aspect cosmopolite. Elle est centrée autour de trois personnages principaux: deux jumeaux (le garçon, Subaru, et la fille, Hokuto) androgynes (à moins que ce ne soit Subaru qui est trop effeminé, car Hokuto est une femme et ça se voit) descendant de la famille des Sumeragi, réputée pour les pouvoirs paranormaux que possèdent tous ses membres, et Seishirô Sakurazuka, un sympathique (à première vue !) vétérinaire qui a proposé à ses deux amis de vivre chez lui.

Apparemment comme les autres, il se révèlera par la suite être le seul membre encore en vie du Sakurazuka-mori, clan des ténèbres ayant réuni de nombreux assassins dans le passé. Son regard, caché derrière ses lunettes, a le pouvoir de tuer, et il ne se gêne pas de le faire sur ceux qui lui barrent le chemin. C'est un être sadique qui prend plaisir à voir Subaru (très proche de Shun sur le plan de la sensibilité !!!) souffrir chaque jour en constatant les horreurs qui agitent la ville de Tôkyô.

Quel rapport avec l'homosexualité, me direz-vous ? Eh bien, il semblerait que la seule et unique raison pour laquelle il se soit impliqué dans la vie de Subaru est qu'il se nourrit de la tristesse des gens, et surtout de leur affection pour lui... Il se délecte à voir Subaru s'attacher progressivement à lui comme à un père. On pourrait le croire homosexuel, vu son comportement, mais ça n'est pas de l'amour, c'est de la haine... Un jeu d'amour et de haine entre un exorciste sensible et un vétérinaire sans pitié ! En fait, le manga est surtout axé autour de la vie quotidienne à Tôkyô au départ, en étudiant un aspect négatif de la ville (mise en parallèle avec Babylone) à chaque chapitre, mais par la suite on se concentre uniquement sur les sentiments de Subaru envers Seishirô.

Dans le tome 6, Subaru se rend compte qu'il éprouve effectivement de l'amour envers son aîné, et ne sait pas quoi en penser... Il est incapable, semble-t-il, d'éprouver de l'amour pour une femme en particulier, c'est plutôt de la compassion qu'il ressent pour chaque homme ou femme à la détresse, et pourtant il a des sentiments envers ce mystère vivant... Et il en a peur, peur qui découle de son innocence. Il a peut-être peur de n'Aimer qu'une personne en particulier, au mépris des autres ? Il n'est pas prêt pour une quelconque relation, mais il ne pourra plus arrêter la marche du destin, qui va se terminer de façon tragique...

Il arrive encore que les relations entre hommes soient le sujet principal d'un manga. Pour terminer cette rapide revue, je citerai donc la série des Zetsuai, créée par Minami Ozaki. Elle traite également de la torture des sentiments non partagés - ou partagés, mais refoulés par peur de vivre une relation différente.
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Zetsuai -1989- est un manga créé en 1989 (tant qu'à faire) par une dessinatrice découverte dans le monde des dôjinshi (manga amateur). Le style graphique de Minami Ozaki est très particulier, les visages et les corps sont très allongés, c'est même parfois difficile à supporter, mais ses illustrations en couleur sont en général plus sages dans les proportions. Il y a beaucoup d'onomatopées (vous savez, les katakana qui se baladent sur la page) dessinées de façon assez baclée et qui gâchent le résultat final, et enfin les visages ne sont parfois pas terminés. Cette vision des choses peut parfois être agréable (comme chez Yun Kôga), mais rarement ici. Toutefois, il ne faut pas tomber dans l'extrême: certaines planches sont magnifiques. Waouh... Je vous conseille les artbooks au passage, beaux à en mourir !

Les cinq volumes du manga, totalisant près de mille pages, nous content le début d'une amitié entre deux hommes que tout sépare sauf leur indépendance justement: Kôji Nanjô, jeune rock-star de seize ans au look d'enfer, et Takuto Izumi, footballeur amateur mais à l'avenir prometteur, qui ne joue que pour prouver aux autres sa valeur. En effet, il est victime d'un préjugé depuis qu'à l'âge de cinq ans, sa mère a assassiné son mari et a tenté de le tuer à l'aide d'un couteau, lui laissant pour la vie une énorme cicatrice à la hanche. On l'a internée en hôpital psychiatrique, et placé sous tutelle ses trois enfants, Takuto l'aîné, Serika sa petite soeur, et Yûgo, son petit frère, qui était alors nouveau-né. Les deux derniers étant trop jeunes pour se souvenir de quoi que ce soit, et n'étant pas présents lorsque leur mère a été prise de son accès de folie, ils n'ont pas été véritablement traumatisés et se sont bien intégrés à la société. Takuto, lui, n'aura jamais aucun ami...

Jusqu'au jour où il ramène chez lui ce fameux Kôji, qu'il a trouvé affalé parmi un tas de sacs-poubelle dans la rue, sous la pluie. Au réveil du chanteur, vous imaginez bien que leur première confrontation verbale n'est pas vraiment une réunion autour d'une tasse de thé ! Ils sont tous deux très agressifs. Pourtant, Takuto, qui n'est pas au courant de l'identité de son invité, s'intéressera de plus près à lui, et réciproquement... En fait, c'est Kôji qui fera le premier pas pour s'en faire un ami. En effet, il est fasciné par ce jeune garçon qui met toutes ses tripes dans sa passion qu'est le football...Il lui rappelle tant le seul amour de sa vie, une vision qu'il a eue il y a si longtemps, une fille qui jonglait elle aussi avec le ballon rond avec la rage d'un lion. Il ne lui faudra pas longtempspourcomprendreque c'était lui, cette fille... Tout le monde a bien le droit de porter les cheveux longs, non ? Mais quelle découverte pour Kôji... Qui est d'abord désemparé, mais il finit par accepter le fait. En fait, il est sans doute plus heureux d'avoir retrouvé celle (ou plutôt celui) qu'il aimait que malheureux de s'être rendu compte que c'était un homme !

Il faut bien comprendre la situation: Kôji Nanjô est parfaitement hétérosexuel (il a même une vie sexuelle des plus actives, normal pour un chanteur à succès), mais il n'a jamais ressenti d'amour pour ses conquêtes d'une nuit. Le sexe et l'Amour ne font pas toujours bon ménage. Sa rencontre avec Takuto va brouiller toutes les données, lui insuffler une nouvelle passion, mais une passion où les fantasmes sont très différents... Le manager de Kôji, le jeune et sympathique Katsumi Shibuya, se rend bien compte du danger de leur relation (surtout auprès des médias qui ne demanderaient qu'à profiter de l'occasion pour augmenter leur audimat ou leur tirage), et essaie de convaincre son poulain de ne pas aller plus avant, mais celui-ci ne l'écoute déjà plus et ira de plus en plus loin. Jusqu'au jour où la nouvelle tombe: Takuto a été remarqué et on lui demande de venir en Italie pour s'y entraîner plus sérieusement pendant trois ans.

Kôji, paniqué à l'idée d'être séparé aussi longtemps de celui qu'il aime, décide de tout lui dire et en profite pour tenter de le violer, ce qui m'a d'ailleurs étonné puisque c'est contraire à ses idéaux. Cette tentative de viol sera avortée quand il découvrira sa cicatrice. Prenant conscience de la plaie que Takuto doit avoir dans son coeur, il se met à pleurer et embrasse la peau déchirée de son ami, comme pour lui montrer qu'il l'accepte tel qu'il est, avec son traumatisme. Evidemment, après cette histoire, Takuto va se détacher volontairement de Kôji, mais celui-ci sera là quand un nouveau drame surviendra: le suicide de la mère de Takuto, alors qu'elle venait à peine de sortir de l'hôpital. La présence d'un ami lui était indispensable pour supporter cette nouvelle épreuve... Il finira par l'accepter, par accepter cette relation... Et se laisser quelque peu aller avec lui...

Zetsuai -1989- se termine ici. Durant le temps de parution de la BD, un Image Album (CD créé pour être écouté pendant la lecture du manga !) interprété par Shin-ichi Ishihara (le premier doubleur de Kôji) est sorti. Je vous conseille de vous jeter dessus si jamais vous le trouvez, mon avis (impartial) étant que c'est le plus beau CD de chansons jamais sorti... Rhaaa... Côté merchandising, ça continue avec tous les goodies possibles et imaginables, mais surtout avec un OAV de 45mn reprenant en condensé l'histoire du manga. De nombreuses scènes ont été supprimées, seules les plus importantes sont conservées, la scène de la tentative de viol a été épurée de tout artifice inutile (il est vrai que je n'aimais pas trop l'idée de voir Kôji attacher les mains de Takuto au lit !). Au final, je trouve le scénario de l'OAV plus "mûr" que celui du manga. Quant à la réalisation, elle est parfaite, confiée au studio Mad House, maison très sérieuse qui a une fort bonne réputation au Japon sur le marché de l'OAV. Le graphisme reste fidèle à celui du manga mais il est plus uniforme, beaucoup plus beau. La musique est de Kenji Kawai, et c'est l'un des chefs-d'oeuvre de cet auteur de talent. Elle est reprise dans son intégralité dans l'Original Soundtrack, qui contient également les chansons de Kôji interprétées par Shô Hayami. Je ne vais pas me lancer dans une analyse plus approfondie de l'OAV, je l'ai déjà fait en long et en large dans Namida 3 (bientôt sur ce site, bis !) et je n'aime pas trop me répéter...
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Mais Zetsuai n'est pas fini ! En effet, Minami Ozaki a lancé une suite, Bronze, au rythme de parution lentissime - on a atteint péniblement le septième tome, où l'histoire est devenue très surréaliste, Kôji ayant même été jusqu'à se couper le bras pour prouver son amour à Takuto !!! On notera aussi que les membres de la famille de Kôji sont y ici plus présents. Le but de ce manga semble être de réunir nos deux héros, puisque Takuto s'y montre de plus en plus amical envers Kôji, au point de faire parfois le premier pas. C'est une histoire d'amitié de plus en plus puissante, que seule la mort pourra arrêter...

En matière de manga, on a aussi eu droit à Bad Blood, recueil reprenant toutes les histoires courtes de Minami Ozaki publiées dans le temps de parution de Zetsuai et Bronze. Je ne vous donne pas le nom des protagonistes, vous les aurez déjà devinés... Enfin, pour ce qui est du merchandising, on a eu deux superbes artbooks (Zodiac et G0D), un Image Album de Bronze (excellent, Shin-ichi Ishihara oblige), un double CD de dialogues (qui s'est très bien vendu), et un CD 3 titres sorti fin 93, Bronze Endmax - Katsuai. Ouf ! Ajoutez à cela un nouveau CD de Shô Hayami très récemment, mais je n'ai guère pu avoir d'infos dessus.

Qui pourrait accuser Minami Ozaki de créer des histoires peu complexes simplement basées sur l'homosexualité ? Personne. On a rarement vu personnages aussi torturés que ceux de Takuto et Kôji. Ce sont des gens comme les autres, qui ont la même conception de l'amour que les autres, mais... Le destin a fait qu'il se concrétise autrement pour eux.

On a donc pu voir que la diversité se retrouve également à l'intérieur-même de l'idée de relation homosexuelle: amour passager, amour éternel, amour torturé, amour superficiel, sadisme... En fait, c'est sans aucun doute parce que les lectrices japonaises considèrent cet amour comme un amour hétérosexuel exotique. D'où l'action se déroulant à Arles dans le cas de Kaze to ki no uta. Des amours entre jeunes hommes, si éloignées dans l'espace (la France !) et dans le temps (le 19ème siècle !), c'est si étrange, si beau... Ainsi, comme le disait un rédacteur des éditions San Shuppan: "L'amour entre garçons, dans un autre pays, c'est tellement éloigné du quotidien des jeunes Japonaises que ça ne les effraie pas, au contraire elles en tirent par procuration de l'expérience. Et elles trouvent aussi tout ça très mignon."

Mignon, mais pas réel. La réalité n'est pas aussi belle que dans les shôjo mangas, car les relations entre hommes n'aboutissent jamais à grand-chose. Le mariage est impossible, la relation est presque platonique, on ne voit presque jamais un couple d'hommes dans un même lit... Et encore moins en train de faire ce qu'ils sont réellement censés y faire (bon OK, ils n'y passent pas plus de temps qu'un autre couple, mais ce n'est pas aussi chaste que dans les mangas, quand même !). Mais qu'est-ce qu'ils ont tous à me fixer comme ça tout d'un coup ? Vous voulez des détails ? Eh, un peu d'imagination, enfin ! (ou alors regardez Tenue de soirée...)

Pour conclure, je citerai le chroniqueur gay Yanagi Kawabata: "Oubliez la rudesse de la réalité, et continuez à fantasmer sur la beauté esthétique de l'amour homosexuel dans les shôjo mangas"... Le manga nous offre du rêve, de l'évasion, de la beauté, à nous de savoir l'apprécier sans préjugé...


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