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Juliette, je t'aime... Une déclaration si simple à faire... Et pourtant... Ces quelques mots, Yûsaku Godai (Hugo Dufour), le héros de Maison Ikkoku, mettra bien longtemps avant de pouvoir les prononcer à sa bien aimée Kyôko Otonashi (Juliette Rosier). Le succès de Juliette je t'aime doit beaucoup au talent de scénariste de son auteur Rumiko Takahashi et à sa capacité à montrer les émotions. Elle a développé un univers si passionnant qu'elle a réussi à stimuler de nombreux auteurs qui ont pu apporter leur contribution à celui-ci...

La Pension d'un instant...

Entamé fin 82, le manga original de Maison Ikkoku- que l'on peut traduire en substance par "Maison d'un instant" - n'avait rien de très réjouissant au début... Il s'est heureusement assez vite amélioré, pour donner vie ensuite à une magnifique série TV. Il est amusant de savoir que lorsqu'il s'est agi de créer les génériques en 1986, un pilote fut réalisé, qui reprenait le style graphique des
Pension amoureuse
premiers volumes ! On y a ajouté des chansons du très sixties Gilbert O'Sullivan, Get Down (pour le final) et le superbe Alone Again (pour celui de début), et ils ont atterri on ne sait trop comment sur l'épisode 24 de la série, qui n'a pourtant rien de spécial. Un petit clin d'oeil !

Tout a commencé lorsqu'un beau jour, Yûsaku, étudiant peu chanceux dans ses derniers projets, a fait la connaissance de la nouvelle responsable de la Pension des Mimosas (ou Maison Ikkoku), où il partage son existence avec de joyeux lurons fêtards tels qu'Ichinosé (la grosse et adorable Pauline), Akémi (Charlotte, la rousse sexy qui se balade à moitié nue) ou encore Yotsuya, alias Stéphane, le sombre jeune homme qui aime à cultiver le mystère autour de son identité et de ses activités. Que de travail en perspective pour notre pauvre Kyôko, qui se serait bien passée de ces nouveaux problèmes : elle a encore du mal à oublier la mort de son mari, Sôichirô, qu'elle avait connu au lycée alors qu'il était son professeur. Elle a même donné son nom au chien qu'ils avaient adopté tous les deux, ce qui nous vaudra bien des quiproquos par la suite...

Godai est tombé fou amoureux, dès le premier regard. Mais Kyôko est son premier amour, vous savez, celui qui reste ancré jusqu'à la mort, et il ne peut que respecter d'autant plus les sentiments de sa bien-aimée, qui ne peut oublier Sôichirô... Seule solution: s'imposer petit à petit comme un ami, comme un confident pour elle... Difficile, surtout quand on s'aperçoit que Kyôko est une femme très indépendante. Hantée par ce souvenir, elle ne peut que fuir les hommes. La pauvre, elle qui est fermement courtisée par le séduisant Shun Mitaka (François), professeur de tennis de son état, victime d'une aversion pour les chiens d'autant plus étonnante qu'il finira par épouser une adorable amie de ces petites bêtes qui prend un malin plaisir à les adopter par paquets de vingt...

Mais nous n'en sommes pas là. Shun jouera le rôle du parfait rival de Godai tout au long de la série, qui durera tout de même 96 épisodes - et 3000 pages de BD étalées sur quinze volumes totalement indispensables, bien entendu ! Les anglophones pourront également se payer la série en anglais (elle paraît chez Viz), que ce soit en manga ou en vidéo. Sur la longueur, on se rend compte que tout l'intérêt de la série repose sur les relations très ambiguës qui unissent les divers personnages principaux. Tel épisode tournera autour des études de Yûsaku, tel autre sera consacré aux déboires de Kentarô, fils d'Ichinosé, avec ses parents, et un autre nous montrera toute la bande s'unir dans une désopilante course à la montre pour découvrir le " secret " des activités de Yotsuya... Kyôko allant même jusqu'à se déguiser en mère de famille ! Un comble.

C'est sans doute là que réside le secret du succès de Rumiko Takahashi : elle passe du registre émotion à des séquences humoristiques avec un semi-réalisme qui force l'admiration - et le fou-rire. Mais elle sait exactement à quel moment il faut qu'elle nous fasse revenir sur Terre. En fait, on a un peu la même formule que dans son premier chef-d'oeuvre, Lamu, en inversant le dosage humour-émotion - on passe tout de même de la comédie fantastique au dessin animé romantique... Les fans de Maison Ikkoku se jetteront d'ailleurs avec grand plaisir sur les bien plus sérieux films 2 et surtout 3 (Remember my love) de Lamu, le second opus, Beautiful Dreamer, étant disponible en français...
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La série TV

Une nouvelle fois, il faut admettre également qu'une grande partie de la qualité de la série TV (qui remportera un grand succès au Japon entre 1986 et 1988, puis en France à partir de 1988) est dûe à l'équipe qui l'a mise au point. On retrouvera successivement Kazuo Yamazaki (Wind named Amnesia, Réincarnations), Takashi Annô (Vanessa ou la magie des rêves) puis Naoyuki Yoshinaga (Patlabor TV) à la réalisation, mais aussi Yûji Moriyama (Project A-ko, Urusei Yatsura films, Gensômaden Saiyûki) puis Akemi Takada (Max et compagnie, Patlabor) au character-design, et enfin Takuo Sugiyama puis Kenji Kawai (Miyu, Patlabor, Ghost in the shell) aux musiques. Pour la plupart mélancoliques, elles sont reconnues depuis dix
Tristesse et doutes...
ans comme étant du plus haut niveau. Une petite précision s'impose pour Takuo Sugiyama. Il porte quasiment le même nom que que Taku Sugiyama, un pionnier de l'animation qui travailla longtemps avec Osamu Tezuka. Or, il se trouve qu'un catalogue japonais de la Kadokawa attribue certains travaux musicaux de Takuo... à ce même Taku ! Je pense qu'il s'agit là d'une petite erreur, mais elle méritait d'être notée.

Cette série télévisée vaut surtout, en dehors de l'excellent travail réalisé à l'origine par Takahashi sur l'histoire des personnages, pour l'aspect "vie quotidienne au Japon", rendu par des décors et des ambiances absolument superbes, façonnant un environnement scrupuleusement respecté d'épisodes en épisodes (configurations de la Pension, de l'université, de la rue commercante, la gare...). A tel point que nous serions sans doute capables de retrouver aisément notre chemin si d'aventure nous étions lâché dans cet univers familier.
Ces rues et bâtisses typiquement japonaises, les bruits caractéristiques des trains en passage, les restaurants et cafés... Les éléments les plus insignifiants du décor couplés aux couleurs très travaillées contribuent à rendre une atmosphère réaliste et fascinante, entretenue par une construction narrative très habile et des effets de mise en scène continuellement renouvelés au fil des épisodes. Une véritable gageure pour une série aussi longue !

Celle-ci se doit d'ailleurs d'être vue en VO pour être appréciée à 100%, même si la version française de 88 a d'indéniables qualités et bénéficie d'un effet nostalgique certain. Il faut en effet reconnaître qu'hormis la voix abominable donnée à Kyôko/Juliette par Deborah Perret, la poignée de comédiens restants maîtrisent plutôt bien leurs personnages, avec des voix tout à fait adaptées (mentions spéciales à Pierre-François Pistorio / Hugo et Christine Delaroche / Pauline). Ainsi, on se rend compte que c'est surtout la traduction et l'adaptation qui font défaut et pas vraiment le doublage lui-même, avec des situations complètement détournées de leur signification réelle (la bière et le saké se transforment en limonade, pour ne citer qu'un exemple récurrent). Sans oublier les inévitables censures habituelles de l'époque.
Animations inédites

Autres curiosités: un film vidéo qui reprend les moments-clé de la série (autant vous dire qu'en une heure et demie, ça passe très vite, trop vite), des vidéos musicales, et surtout deux films d'animation à remarquer. Le premier, Bangaihen Ikkoku-tô Nampa shimatsu-ki, diffusé anecdotiquement au cinéma au 1990 (il faut dire qu'il ne dure qu'une demi-heure), est l'adaptation fidèle d'un chapitre spécial de la fin du sixième tome du manga, une sorte de remake des Robinsons Suisses mettant en vedette toute la Pension. On s'attardera plutôt sur le vrai film, Kanketsu-hen (" final "), qui dure cette fois-ci 1h10, et raconte une histoire inédite et un peu tarabiscotée (comme toujours !) se déroulant deux jours avant le mariage de Godai et Kyôko... Sorti en février 88, un mois avant la fin de la série, il n'a pas pu bénéficier du support de l'équipe de la série TV, qui travaillait d'arrache-pied sur son final. On a donc fait appel à Tomomi Mochizuki pour le réaliser (c'est " le " spécialiste des films romantiques, avec notamment à son actif Umi ga kikoeru et les conclusions d'Orange Road et Creamy Mami), et à Yûji Moriyama pour le dessiner. Il avait beau avoir dessiné les 26 premiers épisodes de la série, et avoir bénéficié de l'assistance de Mutsumi Inomata (The weathering continent, Utsunomiko) sur ce film, le résultat n'en reste pas moins mitigé. Le film est toutefois sauvé par une superbe bande son composée spécialement pour lui par Eiji Mori.
Trésor musical

Vous pourrez trouver le CD de ce film chez Kitty Records, qui a déjà sorti une quinzaine de CD de musiques de Maison Ikkoku à ce jour. Si vous ne savez vraiment pas lesquels choisir, nous vous conseillons de vous jeter sur le superbe coffret Complete Music Box, qui pour 15.000 yens vous offre huit CD indispensables : quatre albums qui reprennent tout d'abord l'intégralité des musiques de fond et des chansons, mélangées entre elles à la perfection... Mais aussi le CD du film, un CD de chansons interprété de façon très honnête par la doubleuse de Kyôko (Sumi Shimamoto, plus célèbre pour avoir donné sa voix à l'héroïne nationale Nausicaä), et surtout, c'est là tout l'intérêt de cette compilation, deux albums de chansons inédites, celles qu'on entend avec délectation en bruit de fond dans les scènes de restaurant, de bar, ou même devant la télévision. A ce propos, l'épisode 19 était mémorable sur ce point : Kyôko, discutant avec Godai, laisse sa télé allumée et nous permet d'entendre trois superbes chansons. Elles sont toutes sur le premier album du lot. Les must de ces inédits : deux chansons époustouflantes écrites par Takao Kisugi (auteur-interprète de la plus belle chanson de la série, Ashita hareru ka ?), mais aussi la chanson rétro qu'on entend dans l'épisode 36 (qui nous conte l'amour perdu d'Akemi), et enfin une langoureuse chanson de Tokiko Katô, alias Gina dans Porco Rosso. En bonus, il y a même une musique symphonique de Shigeaki Saegusa (Astro, Z-Gundam, Char's counterattack...). Un coffret vraiment magique ! Et pour ceux qui lisent le japonais, le livret est une véritable mine d'informations. Avec lui, les musiques de la série n'auront plus de secret pour vous !
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En chair et en os !

C'est tout ? Ah ça non. S'il y a une oeuvre que les fans de Maison Ikkoku se doivent de connaître, c'est bien le... film live ! Eh oui, il existe bel et bien. Réalisé en 1986 par Shin'ichirô Sawai et produit par la Tôei et Kitty Film, il est étonnant qu'on n'en ait encore jamais entendu parler en France. Pour une fois, les acteurs ne sont pas trop mauvais. Ils reprennent en fait la même gestuelle que dans le manga : Ichinosé la fêtarde sort ses éventails à tout bout de champ, Akemi se balade l'air endormi et à moitié nue, et Yotsuya est encore plus sombre et taré que dans l'original. Ici, confondu avec quelqu'un qui est recherché par la police, il se voit poursuivre tout au long du film par des inspecteurs qui ont bien du mal à passer inaperçus... Et c'est à eux qu'il fera subir dans un passage désopilant ses mimiques totalement grotesques et apparemment si sérieuses qu'il a l'habitude
Bonheur rêvé
de nous offrir... N'oublions pas le petit Kentarô, qui apparaît furtivement en compagnie du chien de Kyôko, Sôichirô, qui ressemble lui aussi beaucoup à l'original. On ne pouvait guère faire mieux.

Sauf peut-être pour nos deux héros. Ken Ishiguro, qui joue le rôle de Godai, se débrouille il est vrai très bien. Mais Kyôko pourra décevoir au premier abord: elle est loin du physique de l'original, et certaines scènes ont bien du mal à cacher l'épaisseur de ses sourcils. Par contre, elle se rattrape sur le plan du sourire et de la voix, où elle est parfaite... L'idylle amoureuse de nos deux tourtereaux, bien qu'elle ne se conclue pas à la fin du film (le manga n'était pas encore terminé !), met en tout cas bien moins longtemps à se développer que dans l'original.

On retrouve la scène où Godai, complètement saoûl, fait une déclaration à Kyôko et manque de la violer, mais loin d'être oubliée par la suite, elle se fait encore plus présente à la fin. Kyôko, qui rend visite à Godai dans son petit appartement (il est parti provisoirement de la Pension), reste pour dormir chez lui (vous pouvez m'expliquer pourquoi elle avait mis sa chemise de nuit sous ses vêtements ?). Figurez-vous que, non contente de dormir aux côtés de Godai, elle lui demande de lui répéter ces mots d'amour qu'il a prononcés quelques jours plus tôt... Yûsaku se précipite alors pour la serrer dans ses bras, mais le souvenir de Sôichirô empêchera notre héroïne de concrétiser... Grr. Oui, je sais, c'est un peu rageant, mais c'est déjà formidable : Godai a un espoir... Et vivre sans espoir est le pire des châtiments... Il lui suffira désormais d'être patient. Un jour, il sait qu'il pourra enfin demander sa main à Kyôko et la protéger pour l'éternité...

La scène la plus mémorable du film est à prendre au second degré, et démontre clairement l'ambiance un peu folle qui règne sur la Pension. Inspirés par l'atmosphère du moment, les trois lurons organisent une " comédie musicale " (Maison Ikkoku Musical, alias MIM, avec bien sûr l'intro de la MGM... n'oubliez pas d'y remplacer le lion par Sôichirô !), composée de deux chansons (une triste, et une gaie légèrement mélancolique dont la chorégraphie vous fera mourir de rire), et à laquelle participeront entre autres Yûsaku et Kyôko, affublés comme les autres de déguisements. Mais non contents de nous faire plaisir en nous montrant une Kyôko
Pur amour...
beaucoup moins prude que dans le manga (ah, elle est sublime en uniforme de lycéenne !), les auteurs ont également pensé à soigner les chansons... D'ailleurs, les musiques du film sont signées d'un certain Joe Hisaishi, qui venait de s'occuper de la bande son de Laputa, et préparait celle de Totoro. Eh oui. Du coup, on sent l'influence de son style musical de ces deux films sur celui de Maison Ikkoku. Et c'est pour notre plus grand bonheur !! A quand une sortie en France ?
L'amour originel

Le film live se termine sur la chanson d'O'Sullivan, Alone Again... La boucle est bouclée. Mais Godai n'est plus seul. La réussite du film était la moindre des choses pour rendre encore plus crédible cette histoire d'autant plus touchante qu'elle vous est arrivée un jour, ou qu'elle vous arrivera... Pourtant, rares sont ceux d'entres nous pour qui elle s'est bien terminée.

Le mariage final de Godai et Kyôko vous fera alors peut-être vivre un fantasme interdit... Celui de la concrétisation du premier, du véritable amour... Celui du bonheur éternel.


Le dossier original de Nao, publié dans YOKO, est ici réorchestré et légèrement complété par Arion.


[ http://dossiers.cyna.fr/754.html ]