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Le ken-geki, film de sabre japonais et genre très populaire au Japon, a connu divers hauts et bas au cours de son histoire. Rebaptisé chambara, (contraction des onomatopées chan-chan bara-bara, bruit supposé d'un sabre tranchant la chair), le genre regroupe une grande variété de films, dont certains font partie des chefs-d'?uvre du 7ème Art.

Les samurais

Caste des nobles au Japon durant de nombreux siècles, les samurais sont des guerriers maniant le katana avec agilité et adresse. Leurs techniques d'escrime ont alimenté de nombreux fantasmes et nourri
Les 7 samuraïs
l'imaginaire collectif sous de nombreux aspects : le samurai fidèle à son maître, respectant à la lettre le code du bushido, le ronin sans attaches, craint et conspué mais noble d'âme et même parfois moines bouddhistes se battant à mains nues ou avec diverses armes non-nobles (bâton, kama, etc.). De célèbres samurais devinrent pratiquement des légendes et leurs exploits firent l'objet de divers contes, romans ou autre. Musashi Miyamoto en est l'exemple le plus frappant, La Pierre et le Sabre de Eiji Yoshikawa étant une oeuvre lue dans le monde entier. Citons également Le Passage du Grand Bouddha (Dai-bosatsu tôge) de Nakazato Kaizan, narrant les aventures d'un ronin belliqueux, qui finit par sombrer dans la folie (adapté au cinéma en 66 par Kihachi Okamoto, avec entre autres le grand Toshirô Mifune). Avant l'invention du cinéma, les exploits de ces samurais étaient souvent adaptés en pièces de théâtre, comme celles de Shojiro Sawada, qui savait mettre en scène de façon inventive les affrontements au sabre.
Naissance du Chambara

Yojimbo
Le cinéma japonais, dès sa naissance, mettra en scène de nombreux films sur les samurais. Ceux-ci, plus axés sur la politique ou les sentiments, donneront naissance au genre cousin du ken-geki : le jidai-geki ou film d'époque en costume. Dès les années 20, de nombreux films mirent en scènes des combats de sabre entre samurai. La plupart du temps, il s'agissait d'un duel final (dai-ketto), un affrontement cathartique permettant aux protagonistes d'allers jusqu'au bout de leur système de valeur. Le premier à dynamiser le genre fut Bansho Kanamori. S'inspirant du cinéma d'Hollywood et des pièces de Shojiro Sawada, il utilisa de nombreuses techniques cinématographiques (montage, cadrage) afin de rendre les combats plus intenses, dynamiques et violents. A l'époque, les critiques le démolirent, ne voyant aucun avenir pour ce genre de cinéma? L'oeuvre de Yoshikawa sur Musashi fut portée au cinéma pour la première fois par Hiroshi Inagaki, en 1940. Les aventures de Musashi seront maintes et maintes fois adaptées par la suite, de très nombreux acteurs (dont Toshirô Mifune, l'acteur fétiche de Kurosawa) incarnant l'emblématique ronin. Dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les Américains contrôlent le Japon et interdisent la production de Chambara, genre jugé apte à ressusciter le nationalisme fanatique du pays.
Akira Kurosawa

C'est en 1954 que le Chambara fait son grand retour avec un des plus grands films de l'histoire du cinéma : Les Sept Samurais (Shichinin no Samurai) de Akira Kurosawa remet au goût du jour les aventures des ronin, ces chevaliers au grand coeur, qui doivent ici défendre un village contre une bande de brigands. La seconde partie du film est une ode au genre, multipliant affrontements et batailles avec une maestria inégalée. Un grand acteur, Toshirô Mifune, y sera révélé. Akira Kurosawa a ouvert la porte, et celle-ci n'est pas prête de se fermer. On entre dans un âge d'or qui durera, avec quelques hauts et bas, jusqu'aux années 80. En 1954, Hiroshi Inagaki entame une sublime trilogie sur la vie de Musashi [1],
La forteresse cachée
avec dans le rôle titre Toshirô Mifune. Le premier volet de cette trilogie obtint d'ailleurs l'Oscar du meilleur film étranger.

Kurosawa continue d'oeuvrer dans le genre, alternant jidai-geki et Chambara comme La Forteresse Cachée (Kakushi toride no san akunin) en 1960, Yojimbo (1961) et Tsubaki Sanjûrô (1962). Le Passage du Grand Bouddha et La Pierre et le Sabre feront l'objet de multiples adaptations, de qualité très diverse. Une série de films emblématique voit le jour avec les aventures de Zatoichi, le masseur aveugle et maître de sabre. Près de 24 films sur le personnage furent tournés, avec même un cross-over avec le héros chinois du sabreur manchot et un autre avec le héros du Yojimbo de Kurosawa ! Dernièrement, c'est le réalisateur Takeshi Kitano qui s'est à son tour intéressé au masseur aveugle, en réalisant et interprétant le dernier film en date consacré à Zatoichi. Puis en 1970, malgré une perte de vitesse du genre, le Chambara nous offrira encore un dernier baroud d'honneur avec la mythique série des Baby Cart, tirée d'un manga de Kazuo Koike et Gozki Kojima. Violents, sombres, ces films sont comme le testament d'un genre qui offrit au public japonais quelques-uns de ses meilleurs films.
On constatera que le Chambara influença durablement le cinéma occidental. Le génial Sergio Leone, grand admirateur de Kurosawa, ne nia jamais s'être fortement inspiré du maître japonais [2] ainsi que de la saga des Baby Cart, tandis Georges Lucas alla jusqu'à produire les derniers films du réalisateur des Sept Samurais.
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Un genre tombé en désuétude

Depuis le début des années 80, très peu de Chambara purs furent tournés. C'est donc du côté de l'animation japonaise qu'il faut chercher de nouveaux fleurons du genre. Le fabuleux Kamui no Ken de RinTarô, le sauvage Jûbei ninpûchô - Ninja Scroll de Yoshiaki Kawajiri et même les OAV de Rurôni Kenshin (Kenshin le Vagabond) sont d'excellents films de sabre qui raviront les fans du genre.
Sanjûrô
Les codes du genre

Les Chambara suivent souvent un schéma similaire et ont des codes graphiques assez simples à identifier
- Les geysers de sang : depuis Sanjuro, lorsqu'un sabre découpe un membre ou une tête, un geyser de sang en jaillit avec puissance, intarissable, comme une preuve de la puissance du coup. Dans Baby Cart, le réalisateur use et abuse de cet artifice pour notre plus grand plaisir.
- Les guerriers qui se croisent : lors des duels, les combattants se ruent l'un vers l'autre et se croisent. Ils se retournent, restent debout quelques instants, puis le vaincu s'écroule pendant que le vainqueur rengaine son arme.
- Le découpage rapide : en général, quand un guerrier porte un coup de sabre, les résultats ne sont pas visibles immédiatement. Par exemple, le samurai tranche un bambou, puis rengaine son sabre et s'éloigne. Au bout de quelques secondes, le bambou s'écroule, tranché en biais.
Filmographie

Il n'est pas aisé en France de se procurer des Chambara. Les éditeurs, sortis des classiques de Kurosawa, en proposent assez peu. Certains, comme la trilogie sur Musashi de Hiroshi Inagaki, passent parfois sur des chaînes câblées. Voici une liste non exhaustive de films de sabre trouvables en France.

Shichinin no Samurai (Les Sept Samurai)
Akira Kurosawa (1954)
Les Films de ma Vie
Film qui consacra la renaissance du genre chambara au cinéma, il s'agit également de l'une des oeuvres les plus marquantes du 7ème Art. Maintes fois copié ou remâché, mais jamais égalé, ce long-métrage narre la réunion de sept ronin pour défendre un village des attaques de bandits. La maîtrise cinématographique de ce film est proprement hallucinante et on reste pantois devant la modernité de la réalisation de Kurosawa. Un incontournable.

Kakushi toride no san akunin (La Forteresse Cachée)
Akira Kurosawa (1958)
Arte Vidéo
Un général samurai est chargé d'escorter un chargement d'or et une princesse à travers un Japon en guerre civile. Pas le plus grand Kurosawa mais tout de même un film d'aventure et de sabre superbe, avec un Toshirô Mifune assurément en grande forme ! Parfois quelques longueurs, mais cela reste un must du genre.

Yojimbo
Akira Kurosawa (1961)
Les Films de ma Vie
Film sombre et crépusculaire, Yojimbo est un Chambara quasi westernien. Sergio Leone en tournera d'ailleurs un remake avec Pour Une Poignée de Dollars, le premier grand Western Spaghetti qui révélait Clint Eastwood. Dans une ville dirigée par deux clans de yakuza, un ronin joue sur tous les tableaux pour détruire les deux organisations criminelles. Une fois de plus, une réussite majeure du grand cinéaste japonais, avec encore et toujours Toshirô Mifune au sommet de son art.

Tsubaki Sanjûrô (Sanjuro)
Akira Kurosawa (1961-1962)
Arte Vidéo
Reprenant le héros de Yojimbo, Kurosawa nous livre un Chambara moins définitif que le reste de sa filmographie. Toutefois, c'est ici qu'il invente LE gimmick ultime du chambara : le geyser de sang, au cours d'un combat final bref et intense (qui a un peu vieilli hélas?). Et puis n'oublions pas qu'un Kurosawa mineur reste toujours un grand film.

La trilogie Musashi
Miyamoto Musashi (54)
Zoku Miyamoto Musashi: Ichijôji no kettô (55)
Miyamoto Musashi kanketsuhen: kettô Ganryûjima (56).
Hiroshi Inagaki (1954-1956)
Prochainement en DVD chez Wild Side Vidéo
Grande saga d'un maître du genre, cette trilogie narre les aventures de Musashi Miyamoto, interprété ici par Toshirô Mifune (décidément !). Sublimes, excellemment bien réalisés, passionnants, ces trois chambara font partie du panthéon du genre.

Kozure Ôkami (Baby Cart)
Misumi Kenji / Saito Buichi / Kuroda Yoshiyuki (1972-1974)
HK Vidéo
Composée de six films de qualité sensiblement égale [3], cette saga du "loup solitaire" (rebaptisé Baby Cart) est considérée comme une légende du chambara. Violente, pleine d'inventions graphiques et de chorégraphies travaillées, elle nous présente les aventures d'un ronin voyageant avec son fils dans un landau cachant de nombreuses armes. Pourchassés, le ronin devra affronter de multiples adversaires comme des ninja, des amazones, des guerriers masqués? Un incontournable dont le jusqu'au-boutisme assumé marquera définitivement le genre.

Kamui no Ken
RinTarô (1985)
Katsumi Vidéo
Anime majeur des années 80, réalisé par un des meilleurs réalisateurs du genre, Kamui nous conte les aventures d'un jeune ninja à la recherche d'un trésor perdu et de la vérité sur ses origines. Graphiquement inventif, réalisé avec inspiration, ce chambara animé est excellent à tout point de vue et nous prouve que l'industrie du dessin animé nippon peut prendre la relève du cinéma traditionnel pour assurer la pérennité du ken-geki.

Shôgun Iemitsu no ranshin - Gekitotsu (Shogun's Shadow)
Yasuo Furuhata (1989)
HK Vidéo

Shogun's Shadow
Un des derniers grands films de sabre produits au Japon, ce long-métrage est emblématique du genre. Un groupe de ronin doit protéger le fils du shogun des visées infanticides de celui-ci, et ce jusqu'à son gempukku. Bourré de scènes d'action d'anthologie, de duels épiques, de poursuites à cheval et de dilemmes moraux, ce film est un testament flamboyant pour le genre, avec un certain nombre de stars au casting (dont Sonny Chiba).

Jûbei ninpûchô (Ninja Scroll)
Yoshiaki Kawajiri (1994)
Manga Vidéo
Film de sabre violent et sauvage, réalisé par un des génies de l'animation nippone, Ninja Scroll comporte de nombreux éléments fantastiques et emprunts au wu xia pian (genre qui fera l'objet d'un autre article). Brillamment mis en scène, plein d'idées graphiques et de chorégraphies inventives, il est l'ultime avatar animé du genre, inégalé à ce jour, profondément marqué par la conception déviante du cinéma de son auteur.

Ame agaru (Après la Pluie)
Takashi Koizumi (1999)
Openning
Dernier film écrit par Kurosawa avant sa mort, réalisé par un de ses disciples, Après la Pluie est un grand film humaniste et optimiste. Nous brossant le portrait d'un généreux ronin maître de sabre, il met en scène également quelques scènes de combat d'une maîtrise rare. Le testament d'un Maître du genre, à voir absolument.

Article de Romain d'Huissier, rédigé pour Cyna.net


Cet article est de Romain d'Huissier, cynéen passionné et grand connaisseur de cinéma asiatique. Je (Arion) me suis contenté de rectifier deux ou trois dates, de compléter les titres originaux et d'ajouter quelques commentaires personnels. Bonne lecture. ;-)


[1] Miyamoto Musashi (54), Zoku Miyamoto Musashi: Ichijôji no kettô (55) et Miyamoto Musashi kanketsuhen: kettô Ganryûjima (56).

[2] Surtout dans Pour une poignée de dollar (64), remake/hommage au Yojimbo de Kurosawa.

[3] Kozure Ôkami: Sanzu no kawa no ubaguruma (72), Kozure Ôkami: Shinikazeni mukau ubaguruma (72), Kozure Ôkami: Oya no kokoro ko no kokoro (72), Kozure Ôkami: Meifumando (73) et Kozure Ôkami: Jigoku e ikuzo! Daigoro (74).

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