Dossiers Cyna > L'Emotion

Oui, elle est présente dans Asgard, et pas qu'un peu. Bien sûr, la force de la première série, qui apportait de réelles innovations dans ce domaine délicat, s'est un peu estompée, une fois l'effet de surprise disparu (la mort des chevaliers, par exemple), mais le défi a été relevé... Le point faible de la bataille contre les chevaliers d'or est, vous le savez tous, que ceux-ci ont un passé très flou, voire quasi-inexistant. Tout ce que j'ai pu apprendre sur eux, à travers le manga, est qu'ils ont tous été "élus" en même temps, voici au moins treize ans, à l'exception bien entendu du chevalier de la Balance.

Cette fois, chacun des adversaires des chevaliers de bronze (et certains en particulier) se trouve avoir un passé fort triste. Je doute que beaucoup aient sur le coeur le poids du meurtre de leur père... C'est là que la source de nos Emotions réside, cette fois.

Une fois encore, on peut classer les Sentiments d'Emotion qu'on peut ressentir devant Asgard en trois catégories (plus ou moins valables selon la sensibilité de chacun, bien sûr) :

La situation.

Une force indescriptible contenue dans une scène qui, vue indépendamment des autres, n'est pas forcément intéressante. Quelques exemples : le remords d'Aiolia après avoir tué Cassios sans pouvoir rien y faire. Mettez-vous à la place du chevalier, ça fait très mal au coeur. Ou encore la reconnaissance de Saori envers ses protecteurs, dans le dernier épisode du Sanctuaire : la scène nous fait beaucoup de bien, mais si on se met à la place d'Athéna, on la voit tout à fait autrement. On a l'impression que jamais on ne pourra témoigner aux chevaliers de bronze tout l'Amour qu'on a envers eux...

Enfin, dans Asgard, c'est le passé des guerriers divins qui nous choque. Un jour, j'ai versé une larme en voyant le visage de Thor s'apaiser face à Hilda lorsqu'elle l'a tiré des griffes de ses soldats, et plus tard s'attrister en se rendant compte qu'elle n'était plus la même. Siegfried, fou amoureux d'Hilda, est extrêmement touchant. Je trouve pour ma part que les scenarii, sur le plan émotionnel, atteignent leur apogée dans les épisodes d'Asgard.

Dans GUNNM, le passage où Gally pleure son Yûgo qui se meurt est aussi poignant dans le manga que dans le dessin animé, malgré l'absence totale de musique. Dans Creamy Mami, les relations très complexes entre Mami et Toshio sont grandioses, et la façon dont Toshio accepte la réalité quand il découvre (à deux reprises) que celle qu'il aime n'est autre que Yû peut nous tirer des larmes.

Ce type d'Emotion ne peut donc reposer que sur le talent et la sincérité des scénaristes. Un domaine difficile, puisque la musique est souvent primordiale pour ouvrir la fontaine qui sommeille en nous (j'ai l'air un peu ironique mais n'en tenez pas compte). La plupart du temps, la puissance d'une situation ne nous fera ressentir qu'un immense frisson, surtout chez les garçons - comme il est dur pour un homme de pleurer, même quand il le désire ardemment... Mais c'est déjà tout un monde qui s'ouvre à nous quand on frissonne d'Emotion ; c'est tout simplement une façon moins brutale de montrer ses sentiments...
L'esthétique.

Une Emotion particulière, qui nous touche à chaque fois de la même façon, et même si on n'a pas vu les séquences précédentes. C'est aussi la façon dont on peut ressentir une scène d'Emotion Pure (voir plus loin) si l'on n'est pas "dans l'ambiance". Tout tourne ici autour de la poésie des images et du choix de la musique. Dans Asgard, on pourra penser à nombre de flashbacks sur le passé des guerriers divins, notamment la découverte des joies de l'amour par les enfants Freya et Hagen, ou ne serait-ce que la formidable scène d'introduction du premier épisode qui nous présente les paysages enneigés d'Asgard et la si généreuse soumission d'un noble peuple investi de sa mission divine de protection !

Deux autres exemples très différents : dans Kaze no tairiku, les dessins sont non seulement superbes, mais en prime la musique nous plonge complètement dans l'ambiance. On peut regarder ce film indéfiniment sans jamais qu'il perde de sa saveur... Il y aura toujours un détail pour nous extasier, un son pour nous faire frissonner, un décor pour nous émerveiller... Saint Seiya Abel, ensuite, est de très loin le meilleur exemple. Pour moi, c'est vraiment LE film du siècle, le symbole même du bon goût des auteurs de Saint Seiya en matière d'esthétique. En effet, vu la longueur limitée du film (75 minutes), Yoshiyuki Suga, le scénariste, a préféré laisser tomber l'idée de créer des méchants valables, alors qu'il en avait absolument la possibilité. Il n'aurait pas eu le temps de développer leurs caractères dans l'oeuvre, les combats ne durant que quelques minutes.

Il a donc préféré concenter son talent dans une description prolongée et très contemplative du monde idyllique dans lequel Saori est emmenée dès le début par l'arrivée d'Abel, comme si son frère faisait sourire les fleurs autour de lui... Le summum, je l'ai souvent dit, c'est cette première demi-heure qui vaut à elle seule tous les trésors du monde, ne serait-ce que parce que tout s'y déroule lentement, pour qu'on puisse s'imprégner de l'ambiance de ce monde magnifique... Abel se perd et s'oublie dans la tasse qu'il est en train de boire, Saori se laisse hypnotiser par la beauté du son de la lyre de son frère... Une musique omni-présente qui nous touche d'autant plus qu'on vit le film. Si je devais donner un exemple en dehors de la japanimation, je penserais sans doute au film Mort à Venise de Visconti, une oeuvre contemplative accompagnée par quelques-uns des plus beaux thèmes composés par ce génie de la musique post-romantique que fut Gustav Mahler.
Enfin, l'Emotion pure.

Quasiment propre à Saint Seiya, on ne la retrouve que très rarement ailleurs. Je pense à Lady Oscar, Captain Harlock, Condition Green, Hi no tori, quelques épisodes des Samurai Troopers et de la fin d'Evangelion, Giant Robo et c'est à peu près tout. Il s'agit en fait d'un mélange des deux types d'émotion de base : la situation dramatique et la beauté du cadre - que ce soit dans les décors ou la musique. A consommer sans modération pour comprendre à quel point la vie est belle !

La raison pour laquelle l'Emotion pure arrive à marquer autant les âmes sensibles est que, lorsque le travail de l'auteur est sincère et profond, la mièvrerie apparente de l'Emotion se transforme automatiquement en pur éblouissement. La somme des parties distinctes, musique, dessins et histoire, est alors mille fois supérieure au tout.

Les exemples, on les trouve par dizaines dans Saint Seiya. Ainsi, dans Poséidon, Seiya croit retrouver sa soeur Seika alors qu'il n'est que face à une illusion de Kâsa des Lyumnades. Mais il est emporté par son bonheur, et là je tiens à remercier du plus profond de mon coeur Katsumi Minokuchi, pour avoir storyboardé de main de maître cette superbe séquence des fausses retrouvailles. La musique, ajoutée à tout le travail esthétique, que ce soit sur le plan des dessins ou des couleurs, m'a, le jour de la première diffusion de cet épisode, mis sur les genoux et fait joindre les mains. Je n'oublierai jamais ce moment... Mais le plus fort, dans notre série-culte, est la représentation que les Japonais se font de la Mort et de la réaction des proches de la vcitime. Le symbolisme puissant des fleurs de sakura qui tombent comme pour l'ensevelir se retrouve même dans les films occidentaux ! Et si vous ne me croyez pas, jetez donc un oeil au Legend de Ridley Scott... La première licorne s'écroule en effet au milieu d'un parterre de pétales de fleur rappelant furieusement les cerisiers nippons. La scène est d'ailleurs des plus réussies - sans doute le meilleur moment du film, qui souffre malheureusement d'un scénario trop simpliste.

L'Emotion pure, c'est ce qui a fait de Saint Seiya une légende. La mort du maître de Hyôga pour commencer, puis celle d'Ohko, le rival de Shiryû, et enfin la bataille contre les chevaliers d'or... Qui n'a pas pleuré toutes les larmes de son corps en voyant mourir devant ses yeux Hyôga, Ikki, Shiryû, puis de nouveau Hyôga (coriace) et enfin Shun ? Qui n'a pas versé une larme de joie en voyant les guerriers tombés renaître à la vie, préférant laisser de côté l'idée que les scénaristes avaient bu trop de saké pour profiter pleinement de ces retrouvailles si heureuses ? Et aujourd'hui encore, j'éprouve un immense respect pour leurs adversaires, ces hommes qui ont donné leur vie pour la cause qu'ils croyaient juste, ces kamikaze d'un autre genre, d'une autre époque. Les chevaliers d'or et les guerriers divins sont la source d'une incroyable intensité émotionnelle, et rares sont les personnages qui arrivent à se hisser à leur niveau. S'ils avaient été de chair et de sang, il est évident qu'ils auraient tous eu droit à un prix d'interprétation... Et c'est sans hésitation que des milliers de passionnés applaudiront la performance de leurs doubleurs, qu'ils soient français ou japonais.

D'une façon plus nuancée mais tout aussi remarquable, j'ai été bouleversé dans le film Gundam Char's counterattack par une courte scène où Bright Noah demandait à tous ses hommes de se sacrifier pour leur mission... "Pardonnez-moi, mais je vous demande vos vies...", dit-il avec une intense force émotionnelle - renforcée par la voix de son doubleur japonais, Hirotaka Suzuoki, autrement dit Shiryû... La scène est soutenue par une musique symphonique tragique qui tira des larmes à tous ceux qui se sont passionné pour ce film. Dans cette même oeuvre, Nanai, la petite amie de Char, se met à pleurer à la fin, sachant que son amant va se sacrifier. Difficile de dire si on pleure pour elle, pour la beauté (?) effective de la situation, ou pour l'esthétisme poussé, cette musique si triste, cette voix si envoûtante (Yoshiko Sakakibara n'a jamais déçu), ces mains crispées dans lesquelles elle enfouit son visage meurtri...

De même, dans Asgard, la réaction de Freya découvrant le corps sans vie de Hagen, l'homme qu'elle a toujours aimé, ne peut que nous peiner au plus profond, tandis que la musique nous achève, ajoutée aux paroles pleines de douleur de Hyôga... "Jamais victoire n'a été plus amère..."

Il est difficile d'analyser l'Emotion, un sentiment que chacun ressent différemment, mais toujours avec la même sincérité... Et ceux qui ont enfoui leur sensibilité pour tenter de l'oublier sont les plus à plaindre. Le lien qui unit les passionnés de l'Emotion peut être incroyablement puissant. D'ailleurs, même si le parallèle est un peu osé, les gens d'Eglise ne sont-ils pas intimement liés entre eux, en s'appelant mutuellement mon frère, alors qu'ils adorent quelque chose ou quelqu'un qu'ils n'ont jamais vu, jamais fondamentalement compris...?


[ http://dossiers.cyna.fr/322.html ]