Dossiers Cyna > Evangelion en profondeur

On n'en revient toujours pas. Personne n'avait pu oublier Gunbuster et Nadia. Quand les studios Gainax ont annoncé l'arrivée de leur nouvelle série, sorte de croisement entre les deux, on n'aurait jamais pu imaginer un tel choc. Ce choc, on le doit à Hideaki Anno, l'animateur le plus otaku de la profession. Peu après la fin de Nadia, le réalisateur-culte entre dans une longue période de dépression où il se remet complètement en question. Il finit par s'en sortir, et c'est avec un recul incroyable qu'il peut ainsi nous offrir Evangelion, la plus grosse claque qu'il nous ait jamais donnée. A ne manquer pour rien au monde. Rien.

La claque, on la reçoit déjà en voyant les premiers épisodes. C'est LA série de rêve pour les otakus : en l'an 2015, quinze ans après la catastrophe du Second Impact, trois jeunes de 14 ans (les Children comme on les appelle : le chétif Shinji, l'introvertie Rei et l'extravertie Asuka) pilotent des " robots " à la Goldorak et protègent notre planète contre une invasion de, hum, soi-disants extra-terrestres se faisant appeler les " Anges ". Le sort de notre planète est en jeu. Si si. Ajoutez en prime de nombreuses scènes coquines (" service, service ! ", comme l'annonce gentiment la narratrice à la fin de chaque épisode), une excellente bande son et une qualité d'animation et de graphisme inégalée à ce jour dans l'animation télévisée. Certains épisodes n'ont rien à envier aux meilleurs OAV du marché...

Réflexion

Mais la VRAIE claque, on la reçoit après. Et elle est encore plus puissante que la première. Le message d'Hideaki Anno est simple, et il s'adresse justement aux otakus auxquels il avait ironiquement destiné le début de la série. " Sortez un peu ! On vous sert sur un plateau la série qu'il vous faut, et vous vous en abreuvez sans vous poser de questions ! Ouvrez les yeux, regardez un peu autour de vous ! On peut avoir une passion sans s'y enfermer !! ".

Anno a mûri. Ce n'est plus un otaku, dans le sens péjoratif du terme. Pourtant, il aime encore plus l'animation. Depuis longtemps déjà il voulait y faire passer un message philosophique. Sur ce monument d'émotion pure qu'est Gunbuster, déjà un immense chef-d'oeuvre (et le mot est faible !), le côté commercial a repris le dessus et les collaborateurs d'Anno ont préféré modifier en partie son script pour le rendre plus accessible. Sur Nadia, sa plus grande liberté lui avait permis de nous délivrer une première ébauche de sa réflexion. On commençait sur le principe d'un bon Jules Verne, pour finir sur une histoire d'extra-terrestres (déjà !) et sur la question de la naissance de l'Homme. Qui est Dieu ? L'Homme a-t'il été créé par des êtres venus d'ailleurs ? Mais le scénario de la série est d'une richesse tellement plus excitante, que ce soit dans la profondeur des thèmes abordés ou dans le réalisme poussé jusqu'au moindre détail, qu'un numéro entier de Namida ne suffirait pas pour vous le décrire... Déprimant ? Non, excitant !
Introspection

Shinji, le héros, est appelé par le directeur de la mystérieuse organisation gouvernementale Nerv, qui n'est autre que son père, le sombre Gendô, qui
Mise à nu
l'avait abandonné quelques années auparavant. Sa mission : piloter un Evangelion. Ces robots géants sont en fait, première surprise pour les otakus, de véritables entités vivantes, clonées à partir du corps d'un des deux Anges arrivés en éclaireurs sur Terre quinze ans auparavant. Ceux-ci avaient provoqué une catastrophe au Pôle Sud et causé ainsi la mort de la moitié de la population terrestre. Eh oui. La Nerv a pu récupérer et cloner le corps de l'un de ces Anges, qu'elle ne cesse d'appeler " Adam "... Ajoutez une armure métallique à ces copies, contrôlez leurs mouvements à travers une synchronisation émotionnelle avec les Children (qui leur servent en quelque sorte de sur-moi), et vous obtenez les Evangelion, abrégés en " Eva ". Eve, née de la côté d'Adam... Toutefois, les Eva ne sont pas de simples copies du premier Ange. Ainsi, on leur a retiré le système S2 (S pour Solénoïde), qui donne leur autonomie aux Anges, ce qui oblige les Eva à porter une sorte de cordon ombilical accroché dans leur dos pour recevoir de l'énergie, et qu'accessoirement la Nerv puisse prendre le contrôle de l'Eva en cas de grave problème... Dans l'épisode 19, Shinji, synchronisé à 400% et fusionné avec l'Eva-01, va littéralement manger le 14ème Ange, le plus puissant d'entre tous, après l'avoir tué... Et intégrer son système S2. Personne ne sait ce dont pourra être capable à l'avenir cet Evangelion ayant hérité de l'autonomie des Anges.

Les Anges possèdent eux aussi leur sur-moi : des " noyaux ", boules rouges qui leur servent symboliquement de coeur, et qu'il faut détruire pour les annihiler... En fait, les Eva possèdent aussi un noyau, mais on ne le voit jamais, il est situé juste à côté de l'Entry Plug. Ces EP sont en fait de longs tubes qu'on insère directement par le cou dans le corps du géant et qui servent de cockpit aux Children.

La Nerv n'est pas aussi simple à décrire qu'on pourrait le croire. Elle entretient en effet des liens directs avec un comité secret international (lui-même dépendant de la pas très catholique et mystérieuse secte Seelé, symbole de l'âme en allemand, et digne héritière de l'armée de Gargoyle, le méchant de Nadia), comité qui cherche à atteindre " la complétion du genre humain ", en lui ajoutant quelque chose qui lui manque... Qui manque au monde, ou qui manque à Shinji ? C'est là que mènent toutes les questions posées dans la série.
Visions

On peut en fait avoir plusieurs visions d'Evangelion. Une vision concrète, la plus improbable contre toute attente, car elle n'est plus valable dans les deux derniers épisodes. Une vision théologique, selon laquelle les Anges seraient des créations de l'Homme, qui par là-même montre bien qu'il porte en lui les gènes
Adam...
de sa propre destruction... Ou encore une vision plus psychologique : la Nerv serait la représentation, à travers Gendô notamment, de tout un entourage de Shinji. Par extension, et symboliquement, ce serait cet entourage qui serait à l'origine de toutes les expériences que vit Shinji, jusqu'à l'arrivée des Anges, qui seraient donc l'outil permettant à Shinji de se trouver lui-même, de se trouver une raison d'être sur Terre, d'être accepté parmi les autres, et surtout, surtout, de s'accepter lui-même... Il y a de nombreuses variantes possibles à cette conception philosophique.

Il existe enfin une quatrième vision, que ne dénierait pas Anno : celle d'une critique du monde de l'animation. Si l'on considère que la Terre représente ce monde, la mort de la moitié de la population en l'an 2000 (voir plus loin les explications sur le Second Impact) pourrait être le symbole de la crise actuelle qui met beaucoup d'animateurs au chômage. La Nerv, c'est la Gainax. Et Shinji, c'est Hideaki Anno. Transposez. Pourtant, ne croyez pas que Shinji soit une copie conforme d'Anno. En effet, celui-ci a déclaré dans une interview qu'il se sentait plutôt proche, à l'instar de votre serviteur, de Misato, la seule véritable amie de Shinji au coeur de la Nerv, celle qui le chaperonne et l'héberge chez elle depuis le premier épisode. En associant Anno à Shinji, on a la moitié de la réponse à nos questions. L'autre moitié, c'est à vous de la trouver, à travers votre propre réflexion spirituelle. C'est une question de communion émotionnelle avec l'oeuvre, comme celle des Children et des Eva. La série trouve tout son intérêt à travers l'opinion que vous aurez sur ses mystères les plus profonds. Chaque réponse que vous leur trouverez sera la bonne, du moment que vous en ayez la conviction la plus intense. C'est à cette seule conviction qu'on peut progresser dans la vie. Croire.
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Evangelion aurait pu se terminer au 24ème épisode. Un épisode étrange s'il en est, où apparaît un nouveau personnage, le troublant Kaoru, qui remplacera Asuka au pilotage de son Eva. Celle-ci vient en effet de perdre le pouvoir de communier avec celui-ci. Depuis, elle est entrée dans un état de catatonie, ne se nourrit plus et se laisse mourir. Elle qui
Combats métaphoriques
était la plus gaie de tous... Kaoru s'avèrera en fait être le 17ème et dernier Ange. Symbolique là encore : le dernier de leurs ennemis, le plus terrible de tous, était en fait un être humain... Matière à réflexion, une nouvelle fois. Surtout quand on sait que le terme japonais employé pour décrire les Anges est Shito, qui se traduit normalement par apôtre. Il faut savoir que dans de nombreuses régions du Japon, c'est ainsi qu'on prononce le mot hito, autrement dit... être humain. De là à pouvoir associer les Anges aux Humains, il n'y a qu'un pas. Mais restons dans les particularités de la langue japonaise. Comme je vous l'expliquerai plus loin, on devine en décomposant le nom de Kaoru, Nagisa, qu'il est destiné à mourir.

C'est lui-même qui demandera à Shinji la délivrance... Ce dernier sera traumatisé par l'idée d'avoir tué un homme. Si proche de lui, si timide, si sensible... Une fin étrange pour une série, mais une fin tout de même. Même Misato n'arrivera pas à remonter le moral de Shinji, à l'empêcher de sombrer dans la dépression. Dans l'épisode suivant, on assistera alors au " procès spirituel " des trois Children principaux, et surtout de Shinji. Chacun essaiera de trouver sa nouvelle voie, en trouvant ce qui manque en lui, en complétant son âme.
Procès

Shinji mérite de vivre. Il a bel et bien une place sur Terre... Il finira par le comprendre de lui-même, dans le dernier épisode. Il retrouvera, ou plutôt découvrira ainsi la joie de vivre, et le désir d'aller plus loin. Ne l'oubliez surtout pas : Shinji a suivi le même chemin didactique que Hideaki Anno, même si ce dernier explique se sentir plus proche, sur le plan psychologique, de Misato. Oui, c'est certain, le réalisateur a gagné sa place parmi nous, à travers cette oeuvre qui apporte une contribution monumentale à notre réflexion.

Au fur et à mesure que se déroulait la série, il se détachait un peu plus de l'idée que se faisaient les otakus d'une bonne série, en introduisant tous ces éléments surréalistes et philosophiques, ou encore en abaissant petit à petit la qualité de la réalisation (véritable critère de sélection de qualité chez ces mêmes otakus) et en insérant même des dessins " faits main " à la place des cellulos traditionnels dans les derniers épisodes. Interrogé à ce sujet, même s'il sait qu'il a été réduit à cette solution uniquement parce qu'il avait pris du retard dans la production, il hurle au fétichisme... " Vous pensez vraiment qu'un personnage dessiné sur cellulo fera passer plus
Liés à jamais
d'émotion qu'à travers un dessin au crayon ? "... Même réaction énervée face à tous ceux qui s'arrêtent à la surface de l'oeuvre et ne cherchent pas à en tirer la véritable essence.

Bilan général : un tollé de la part des téléspectateurs. S'estimant lésés par une fin aussi " absurde " (comme quoi, être Japonais n'empêche pas d'être con !), ils sont des milliers à ensevelir de courrier le diffuseur, Tôkyô TV, qui ne peut que se confondre en excuses. Des centaines de messages d'indignation sont postés sur Internet. Une situation sans précédent. Hideaki Anno se voit contraint de rassurer les foules en promettant à l'occasion de la série en Laser-disc de retaper la série à partir de l'épisode 21 et de refaire entièrement les deux derniers, qu'il proposera sur le support laser dans les deux versions existantes. Evidemment, ne comptez pas sur lui pour nous donner une explication. Il a simplement voulu gagner du temps, mais heureusement il laissera planer le mystère ! Il a également annoncé pour le printemps 1997 deux films cinéma consacrés à Evangelion. Le premier, Evangelion Shito shinsei (La résurrection des Anges, ou en anglais Death and Rebirth), reprend dans sa première partie la série TV à travers un résumé des 24 premiers épisodes parsemé de nouvelles scènes inédites, et surtout, dans la deuxième moitié, les deux premiers tiers de l'épisode 25 refaits. Le second film, The End of Evangelion, est composé des épisodes 25 et 26. Les passages de l'épisode25 qui avaient été "bâclés" ont été corrigés par la même occasion. Le troisième et dernier film, Revival of Evangelion, est composé de trois parties : Evangelion: Death (True)², version "director's cut" du segment Evangelion: Death du premier film, suivi des épisodes 25 et 26.

Sommes-nous seulement certains que les personnages et les situations de la série ont vraiment existé, et que ce n'est pas Shinji qui les a imaginés ? D'ailleurs, dans le 26ème épisode, le monde que nous avons connu dans le reste de la série n'existe plus et Shinji, devenu après sa complétion une sorte de nouveau Dieu, va pouvoir se créer un nouvel univers, dans lequel il se sentira plus à l'aise... Peut-être est-ce celui-là que l'auteur choisira de nous décrire.


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