Dossiers Cyna > Eric Legrand : L'interview

Cette interview, qu'Eric m'a accordée le 28 mai 1999 dans le cyberespace fut l'une de mes premières rencontres avec ce très attachant comédien qui, en plus d'être un ami, est aussi celui qui interprétait avec tant de vie Seiya, Vegeta ou Yamcha, pour ne parler que des personnages les plus connus. Let's go !

*Ludovic Gottigny : Bonjour Eric ! Tout d'abord, est-ce que le succès que tu as obtenu notamment grâce aux doublages de dessins-animés te surprend ?

Eric Legrand : J'ai su rapidement, bien entendu, lorsqu'elle a été diffusée la première fois, que la série (NB: Les Chevaliers du Zodiaque) remportait du succès. Mais je n'ai jamais imaginé une seconde que mon travail pouvait y être pour quelque chose. Je ne le crois guère davantage aujourd'hui, très honnêtement. Je pense vraiment que ce dessin animé aurait été reçu avec le même enthousiasme par les jeunes, doublé par quasiment n'importe quels autres comédiens. J'ai découvert très tard (lorsque je me suis branché sur Internet), complètement par hasard et avec la plus grande stupéfaction, que des fans de la série connaissaient mon nom, reconnaissaient ma voix et s'étaient intéressés à ce que j'avais fait par ailleurs. J'en ai été extrêmement touché, mais cela me laisse encore perplexe malgré tout, et j'ai toujours du mal à penser que mon travail puisse avoir un écho dans un public quel qu'il soit. Notre travail n'a pas vocation à nous mettre en contact avec les gens qui l'entendront, et nous n'en avons donc que rarement des "retombées". Même au sein des gens de notre métier, nous ne savons pas souvent si ce que nous avons fait a été entendu, si cela a été apprécié. Nous sommes au fond très coupés de l'impact de ce que nous faisons, si toutefois cela en a un. Donc, quand tu me parles de "succès" que j'aurais obtenu, cela reste parfaitement abstrait pour moi, même si cela me fait plaisir, et j'ai un peu l'impression que ce n'est pas de moi que tu parles. Ou que vous n'êtes que quelques-uns à penser la même chose, et que le mot "succès" est absolument excessif !


*L.G. : On sait que tu ne portes pas les DA nippons dans ton coeur, ce qui ne t'a pourtant pas empêché de réaliser un travail remarquable sur toutes les séries auxquelles tu as participé et qui sont toujours d'énormes succès d'audience aujourd'hui... Pas un hasard !

E.L. : Pas un hasard ? Si, moi j'en suis persuadé.



*L.G. : Prenais-tu tout de même un certain plaisir à doubler ces DA ?

E.L. : Euh... Franchement ? Pas beaucoup, non. J'avais du plaisir à aller sur le plateau parce que j'allais y retrouver des copains, mais ça n'allait pas plus loin. Si, j'aimais assez faire Végéta (à cause de son sale caractère) et le présentateur des combats d'arts martiaux (parce que je pouvais délirer pas mal avec), dans Dragon Ball. Mais Seiyar ne m'enthousiasmait pas des tonnes, je dois l'avouer. C'est peut-être pour ça, paradoxalement, que je ne m'en suis pas trop mal sorti... ? Parce que, pour me réveiller, j'y mettais une énergie qu'il ne suscitait pas en moi ?


*L.G. : Parmi tous les personnages de DA que tu as doublés, y en avait-il qui étaient plus difficiles à interpréter que d'autres ?

E.L. : Oui, tous ceux des séries américaines de dessins animés, pour ainsi dire. Mais pas pour des raisons "artistiques". Pour des raisons purement techniques. En anglais ils n'ont pas beaucoup de texte, ce qui a pour conséquence qu'on ne nous en met pas plus en français, bien entendu. On nous traduit ce qu'ils disent, sans rien ajouter. Or, l'anglais permet de traîner sur les mots, grâce à l'accent tonique. Dites "baby" et "bébé" l'un après l'autre, avec un bon accent, et vous verrez. Vous mettez deux fois plus de temps à dire "baaaaaaaaaby" que "bébé" qui est bref. C'est pareil pour quasiment tous les mots. Donc, lorsqu'on vous traduit "baby" par "bébé", sans rien mettre d'autre, si vous ne prenez pas l'accent suisse ou si vous n'êtes pas à moitié anesthésié, vous avez fini de parler trois fois trop tôt ! Pratique dans les scènes d'action en particulier, où les personnages sont speed... C'est donc un enfer sur les dessins animés américains où les acteurs de l'original traînent particulièrement sur les syllabes, lorsqu'on n'a pas un texte assez fourni en français pour remplir les bouches des personnages dessinés.


*L.G. : Pour en revenir à Saint Seiya, comment se passait le doublage sur le plateau des "Chevaliers" ?

E.L. : Comme ça se passe toujours, pardi ! Sauf que là, on travaillait "à la volée". C'est à dire sans "lire" la scène avant. On fonçait direct pour enregistrer, en découvrant le texte au fur et à mesure qu'on le mettait en boîte ! On ne s'arrêtait que quand on se plantait, quand on ne comprenait pas, qu'on n'était manifestement pas synchrone, ou qu'un nouveau personnage apparaîssait, histoire de savoir à quoi il ressemblait et qui allait le faire. Je dois préciser que je n'aime pas cette façon de travailler (je veux dire à la volée). Ca se faisait beaucoup à la SOFI sur les DA, fut un temps (j'ignore si ça se pratique encore là bas puisqu'ils m'ont mis à l'index), et je n'ai jamais été bien d'accord avec cette méthode.

*L.G. : Sur quels critères les personnages ont-ils été distribués aux comédiens ?

E.L. : En fait, comme sur tous les dessins animés, une équipe a été constituée à la base, en partant des personnages principaux. Nous étions 6 comédiens permanents : Laurence Crouzet, Virginie Ledieu, Marc François, Serge Bourrier, Henri Djanik et moi. Il faudrait demander à la SOFI (qui avait le produit en charge) pourquoi ceux-là et pas d'autres... Pour tous les personnages qui apparaissaient ensuite, soit ils étaient confiés à des comédiens additionnels appelés par la SOFI, soit nous devions nous les partager entre nous six si personne n'avait été prévu par le bureau.


*L.G. : Quelles sont tes activités du moment en tant que comédien ?

E.L. : Ben... Je double ! Et ne me demande pas quoi puisque je ne suis pas sur une série particulière (avec un personnage permanent, je veux dire) et que je vais travailler sur des choses différentes à chaque fois. Si, je suis sur "Les feux de l'amour", mais est-ce bien la peine de le mentionner !? Ah oui, aussi, j'ai commençé une série de 4 CD ludo-éducatifs pour Coktel Vision.

*L.G. : As-tu des projets ?

E.L. : Oui, être bien dans mes baskets !... Et puis peut-être l'année prochaine irai-je à Londres pour y jouer "Jeanne au Bûcher" avec Marthe Keller (c'est une oeuvre sublime à la fois théâtrale - texte de Paul Claudel - et musicale - musique de Arthur Honegger), que j'ai déjà jouée à New York (avec l'Orchestre Philharmonique de NY), à Berlin (avec l'Orchestre Philharmonique de Berlin), ainsi qu'à Lucerne, Paris (avec l'Orchestre National de France), et Leipzig. Mais rien n'est encore sûr.


*L.G. : Quels sont tes rapports avec Marthe Keller ?

E.L. : C'est agréable de travailler avec elle... Et elle m'apprécie, je crois. Du moins elle me dit à chaque fois qu'elle est contente que je sois là-dedans, car elle est très traqueuse (sic.). En tout cas dans cette aventure. Il est vrai que ce n'est pas commode. "Jeanne d'Arc au Bûcher", c'est un...comment dire ? Claudel (l'auteur) a nommé ça "oratorio", car c'est un texte sur une musique orchestrale (sublime, vraiment sublime) d'Arthur Honegger. A moins que ce ne soit Honegger qui ait appelé ça "oratorio", je ne sais pas au juste. C'est à dire que ça peut se jouer en version thétrâle, si tu veux (avec mise en scène, costumes, décors et tout, auquel cas l'orchestre est dans la fosse pour accompagner la chose, en quelque sorte), soit en version concert, auquel cas c'est l'orchestre qui est sur scène et les comédiens (sans costumes) sont au milieu de celui-ci, ou sur le devant de la scène, comme des solistes, pour ainsi dire, se "contentant" de dire leur texte sans bouger, sans mise en scène, quoi. Et le "troupe" est alors réduite à sa plus stricte expression. Il ne reste que Jeanne (en l'occurence c'est donc Marthe Keller), le comédien qui tient le rôle masculin principal de saint Dominique (ça a été Michael Lonsdale, la dernière fois), et les autres rôles sont concentrés sur un ou deux autres comédiens seulement. Il m'est arrivé d'être seul "récitant". A Berlin nous avons été deux. C'est pas vraiment simple et très impressionant car, s'il y a des moments où l'on joue à blanc, sans musique, il y en beaucoup d'autres où il faut jouer...on va dire "en rythme" sur la musique, de la même façon que si on chantait, au fond. C'est à la note près. Les mots doivent tomber à des moments musicaux précis, ni avant ni après. La parole est en somme considérée au même titre qu'un instrument. Et je ne te dis pas le trac que ça peut-être quand on a devant soi les plus grands chefs d'orchestre du monde, derrière soi un orchestre d'une centaine de musiciens, un choeur d'hommes et de femmes aussi nombreux, plus un choeur d'enfants d'au moins une trentaine de chanteurs, et qu'on est en face de deux ou trois mille spectateurs ! Moi je n'ai plus trop de trac, à présent, car je possède bien mon texte, je connais par coeur la musique de l'oeuvre et ce n'est pas très compliqué pour ce qui me concerne. Mais Marthe (pour qui c'est beaucoup plus difficile) est toujours morte de trouille. Ça la rassure un peu, a-t-elle la gentillesse de me dire, de savoir qu'à côté d'elle il y a quelqu'un qu'elle ressent comme solide et qui n'aura pas de défaillance. En tout cas c'est un pied phénoménal de faire ça !

*L.G. : Et bien bonne chance dans cette aventure et merci beaucoup pour ces quelques confidences !


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